Fortes disparités territoriales de l’offre d’accueil, inégalités sociales d’accès à cette offre, manque de coordination des acteurs, mauvaise adaptation de l’offre de formation aux besoins des familles… Les critiques concernant la politique d’accueil des enfants de moins de 3ans ne manquent pas. Pour autant, la Cour des Comptes dresse un bilan plutôt positif des évolutions de cette politique “ambitieuse“, qui a permis une “sensible amélioration […] du service rendu aux parents“.
La crèche, un mode de garde très plébiscité par les parents.
Présenté le 28 novembre 2013 à la presse, le rapport de 363 pages porte sur l’examen de l’efficacité des moyens consacrés à l’
accueil de la petite enfance, en termes de réponse aux attentes de la population et de gestion des coûts dédiés, a expliqué Didier Migaut, premier président de la Cour des Comptes. “Les pouvoirs publics ont choisi, depuis plus d’une dizaine d’années, d’accroître considérablement les moyens consacrés, au niveau national, à l’accueil de la petite enfance, et ce dynamisme est appelé à se poursuivre“, a-t-il rappelé. En effet, une convention a été signée en 2013 entre l’Etat et la branche famille de la Sécurité sociale qui supporte les ¾ des coûts, qui prévoit d’augmenter de 275 000 le nombre de solutions d’accueil d’ici 2017, grâce à un budget de 4,5 Md€. Si la Cour des Comptes n’a pas à se prononcer sur ce choix, son rôle est “d’examiner dans quelle mesure ces moyens accrus permettent d’atteindre les objectifs fixés, afin de mieux répondre aux attentes de la population, d’offrir une meilleure qualité de service et au meilleur coût, dans un contexte où l’utilité et le juste ciblage de toutes les dépenses publiques doivent être soigneusement pesées“, a-t-il précisé.
Plus de la moitié des moins de 3 ans bénéficient d’un mode de garde
Premier constat : plus de la moitié des 2,4 millions d’enfants de moins de 3 ans bénéficient désormais d’une place d’accueil, grâce à la création de 131 000 nouvelles places en crèches, auprès d’assistants maternels ou de salariés à domicile ainsi qu’à l’école maternelle. Soit une progression de 4,5 points depuis 2006, où seuls 47,7 % des familles pouvaient se tourner vers ces modes de garde. Avec 41 % des enfants de moins de 3 ans fréquentant une structure d’accueil collectif, la France figure en bonne place au sein de l’Union européenne (36 %), mais reste encore loin derrière le Danemark, soulignent les auteurs du rapport.Accroître le nombre de places d’accueil a un coût, estimé à 14 Md€ en 2011, en hausse de 19,2 % depuis 2006. Et si l’on considère les seuls modes de garde extérieurs à la famille, et que l’on exclut les prestations versées aux parents qui arrêtent de travailler ou réduisent leur temps de travail pour s’occuper de leur nourrisson, la hausse des dépenses s’élève à 28,2 % tandis que le nombre de places n’a augmenté que de 11,7 %. “Cette situation appelle une meilleure maîtrise des dépenses“, estime la Cour des Comptes. C’est simple, depuis 2000, le coût de construction d’une place en crèche a doublé, en raison notamment des normes de construction et des prix du foncier.
De fortes disparités territoriales et sociales en matière d’accès aux places d’accueil
Au-delà de l’envolée des dépenses publiques pour l’accueil des moins de 3 ans, la Cour des Comptes pointe du doigt les fortes disparités territoriales qu’il existe en la matière. Tous modes de garde confondus (et hors DOM), c’est en Seine-Saint-Denis qu’il est le plus dur de faire garder son enfant, avec une offre atteignant seulement 30 % des besoins, tandis que la Haute-Loire est le département le mieux doté, avec une offre atteignant 86 % des besoins ! A l’échelon national, les régions Centre, Auvergne, la Bourgogne et la Franche-Comté ainsi que le grand Ouest sont les plus généreuses, tandis que le pourtour méditerranéen, le nord-est de la France ainsi que le nord-est de la région parisienne et les DOM ont l’offre la plus faible. Pour la Cour des Comptes, “les financements de la branche famille sont insuffisamment ciblés sur le territoire et les publics ayant le moindre accès à une offre de garde diversifiée“. Et de préciser que “les dépenses par enfant varient de 450€ dans l’Aisne à 3 626€ à Paris“, sans que cela soit justifié. “Il faut cibler les dépenses sur les territoires prioritaires“ : telle est la recommandation de la Cour des comptesA ces disparités territoriales de l’offre s’ajoutent des inégalités sociales d’accès à cette offre. Comme trop souvent, ce sont les 20 % des ménages les plus aisés qui ont le plus recours aux modes d’accueil hors famille, à hauteur de 64 % contre seulement 8 % des 20 % des foyers les plus modestes. Pour les 72 % restants, c’est le système D qui prévaut, à savoir l’un des parents ou grands-parents. Pour gommer ces inégalités, la Cour des Comptes propose de relever voire supprimer le plafond du barème national des participations familiales (actuellement établi à 4 625€/mois/famille). “Nous pensons que ce déplafonnement permettra une plus grande équité car cela dégagerait une marge financière pour les familles les plus modestes“, a commenté Anne Froment-Meurice, présidente de la formation interjuridictions. Pour Didier Migaud, il s’agit surtout d’une invitation à réexaminer cette question, afin de savoir si cet équilibre est le meilleur. Plus globalement, la recommandation de la Cour des Comptes est de “faire évoluer les aides accordées aux familles afin qu’elles tiennent mieux compte de leurs revenus et du coût respectif des modes de garde“.
Améliorer le pilotage de la politique d’accueil du jeune enfant
Les auteurs du rapport estiment par ailleurs “indispensable d’améliorer le pilotage de cette politique, tant aux échelons nationaux que locaux“. Cela passe notamment par une simplification des compétences des collectivités et de l’Etat, et par une meilleure coordination entre ces acteurs. L’implication du département dans la planification de l’offre d’accueil au regard des besoins permettrait une meilleure rationalisation de cette offre et concourrait à gommer les inégalités territoriales.Mais le problème de l’insuffisance de l’offre de places dans les structures d’accueil du jeune enfant tient aussi en grande partie au manque de personnels qualifiés dans les crèches, qui doit s’élever à 40 % de l’ensemble du personnel. “Ce que propose la Cour, c’est de réfléchir collectivement aux besoins et à la bonne utilisation et destination des personnes issues des formations“, a commenté Stéphane Lucien-Brun, plaidant pour une meilleure coordination au niveau régional afin d’adapter l’offre de formation aux besoins, tant en termes quantitatifs que qualitatifs. Au total, ce sont plus de 200 000 personnes qu’il faudrait former dans les années à venir pour satisfaire la demande.
Plus de transparence dans l’attribution des places en crèches
Enfin, la Cour des Comptes recommande d’améliorer l’efficience du système en place, en améliorant notamment le taux d’occupation des crèches, qui n’est supérieur à 70% que dans la moitié des cas. L’occupation partielle des places (les enfants qui ne restent que quelques heures) en est la cause. Pour contourner ce problème, elle propose d’informatiser le système de réservation des heures et d’informer les parents des créneaux horaires disponibles.Elle préconise également le développement des modes d’accueil les moins coûteux que sont les assistants maternels, les crèches familiales ou les classes passerelles, pour les enfants entre 2 et 3 ans.Dernier point, la Cour des Comptes estime que le système opaque d’attribution des places en crèches doit être supprimé et que les décisions d’admission dans les crèches reposent sur des critères “en nombre réduit et hiérarchisés“, qu’elles soient le fruit d’une réflexion collégiale et transparente.Au finale, la Cour des Comptes “dresse un bilan plutôt positif des évolutions de la politique de la petite enfance“, écrit-elle, mais estime que “des progrès peuvent être réalisés pour que cette politique publique soit une pleine réussite“.Amélie Pelletier
Source
“L’accueil des enfants de moins de trois ans : une politique ambitieuse, des priorités à mieux cibler“, Rapport de la Cour des Comptes, présenté à la presse le 28 novembre 2013.